Périodiquement remise sur le devant de la scène par de nouvelles controverses, la figure de l’anti-vaccin s’est imposée au cours des dernières décennies comme un symbole privilégié des rapports problématiques que les populations entretiendraient aux technologies et à la science. Sans chercher à les légitimer, de nombreux travaux consacrés aux refus et aux hésitations ont souligné la dimension stigmatisante ou contre-productive d’une étiquette appliquée sans distinction à l’ensemble des attitudes critiques. Mais le rôle joué dans ce processus de marquage social par des citoyens mobilisés en faveur de la vaccination a été jusqu’ici largement délaissé.
Du fait de l’engagement croissant de militants se réclamant de différents courants rationalistes, la lutte contre les anti-vaccins a pourtant changé de visage ces dernières années, surtout dans les arènes numériques. Ce travail se propose de resituer le sens que prennent ces croisades morales pour ceux qui s’y investissent et d’analyser les effets de ces mobilisations sur la construction plus large d’un problème public autour de la défense de la science.
Pour ce faire, cette thèse fait appel à une méthodologie mixte. Le matériau est à la fois constitué d’une ethnographie en présentiel ainsi qu’en ligne des milieux se réclamant de la défense la vaccination et plus largement de la défense de la science dans l’espace public, d’une campagne d’entretiens qualitatifs approfondis avec des militants, et, enfin, d’une analyse de réseaux constitués à partir de données collectées sur internet (sites web et Twitter).
On montre tout d’abord que les principaux collectifs spécialisés dans la défense de la vaccination se différencient sur internet à partir de courants qui se revendiquent du rationalisme et pour lesquels les vaccins représentent un objet parmi d’autres. Jonglant entre les deux échelles, ce travail propose de resituer ces mobilisations au sein d’un réseau dont les coalitions et les fractures rendent à la fois compte de l’expansion de ces pratiques de militantisme en ligne et de l’hétérogénéité des ressorts sociaux à l’origine de ces engagements. La diversité des trajectoires s’explique entre autres par l’essor des réseaux sociaux qui baissent le coût d’entrée dans ce type de controverse et permettent l’implication d’agents non strictement liés aux professions médicales, scientifiques ou aux campagnes de santé publique. Du fait de ces évolutions, en se joignant aux chercheurs et aux médecins, des autodidactes, des déconvertis et des ingénieurs se trouvent ainsi régulièrement en position de travailler les frontières de la science en excluant et en incluant certains acteurs/objets. Parce que des intérêts qui leurs sont propres pèsent sur les rhétoriques produites, il sera défendu ici que ces militants participent à la transformation des usages publics de l’autorité scientifique. Se faisant bien souvent les annonciateurs d’une crise de légitimité inédite que connaîtrait la science, ils contribuent paradoxalement par leur intervention à polariser les débats et à solidariser la science de ses applications technologiques. Au terme de notre analyse, les discours des défenseurs citoyens de la vaccination et de la science apparaissent comme des produits culturels hybrides construits au croisement de plusieurs formes de travail identitaire, d’éthos professionnels variés et d’une balistique propre à l’échange d’arguments sur les réseaux sociaux.
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