Centre Maurice Halbwachs

De l’enchantement à la disqualification

Trajectoires professionnelles et expériences vécues des ouvriers et ouvrières de l'industrie du saumon en Patagonie chilienne

Cette thèse porte sur les transformations de l’expérience vécue du rapport salarial des ouvriers et des ouvrières de l’industrie du saumon dans l’île de Chiloé, en Patagonie chilienne. Depuis les années 1980, plus d’une dizaine d’entreprises nationales et internationales de salmoniculture se sont implantées dans cette région, contribuant à hisser le Chili au rang de deuxième producteur mondial du saumon après la Norvège. En quelques années, cette industrie a provoqué de profondes transformations non seulement économiques, mais aussi sociales et culturelles sur ce territoire principalement rural où prédominait une économie familiale de subsistance. L’implantation de cette industrie a notamment provoqué une révolution locale caractérisée par le développement rapide d’un salariat de masse organisé autour d’un mode de production capitaliste consacré à l’exportation. Malgré le contexte industriel prospère et la stabilisation contractuelle de la main-d’oeuvre, le travail est précaire et se développe dans un climat d’incertitude de différentes natures. Suite à une immersion ethnographique de 6 mois et de la réalisation de plus d’une trentaine d’entretiens auprès des acteurs engagés dans l’industrie du saumon (ouvriers, patrons, syndicats), la thèse s’intéresse aux expériences vécues de la relation salariale des travailleurs dans les usines de transformation de saumon. Elle propose d’explorer ce rapport à l’emploi sous la forme d’un processus. Ainsi, à partir d’une enquête s’étalant sur plusieurs années avec des séjours successifs sur le terrain, ce travail distingue quatre phases de la relation salariale. Ces phases permettent de comprendre les variations du rapport au travail en termes de protection et reconnaissance, ainsi que leur articulation à un emploi stable mais menacé: l’emploi enchanté ; l’emploi « réel » (par opposition au travail prescrit) ; l’emploi adapté ; et l’emploi disqualifié. La trajectoire ouvrière commence par l’enchantement survenu de la possibilité d’amélioration générale de la condition économique et sociale de l’individu et sa famille. Cependant, la contrepartie à ces bénéfices est l’engagement dans des processus de socialisation aux conditions tayloriennes de travail à la chaîne, et de l’apprentissage de la discipline et de la subordination. Cherchant à supporter le travail dans la durée, les travailleurs utilisent des moyens d’adaptation et de résistance pour contourner les tensions et sécuriser leur emploi. Toutefois, avec le temps les ouvriers et ouvrières, usés moralement et physiquement par la pénibilité des conditions de travail et par l’humiliation de l’encadrement, souhaitent se détacher de cette condition salariale, disqualifiée qui se caractérise par le cumul des formes de fragilisation et d’oppression au travail.
La thèse montre que la dimension collective des expériences vécues par ces travailleurs donne non seulement la possibilité de définir une séquence socio-historique de transformation de la main-d’oeuvre pour les usines mais aussi la définition d’une condition ouvrière éphémère. En utilisant les outils de la sociologie du travail, la thèse propose une sociologie du salariat qui intègre les modes de vie hors du travail. Ainsi, les résultats de cette recherche contribuent à enrichir la réflexion sur les défis contemporains auxquels sont confrontés les travailleurs dans les industries extractives et agroalimentaires, tout en soulignant l’importance de tenir compte des spécificités locales dans l’analyse des transformations du travail.

Supervised by

Co-direction

Kathya Araujo (Centro IDEA - Universidad de Santiago)

Composition of the jury

Kathya Araujo, Professeure à l’université de Santiago, Universidad de Santiago, Chili (codirectrice de thèse)
Stéphanie Barral, Chargée de recherche INRAE (examinatrice)
Claude Didry, Directeur de Recherche CNRS - Centre Maurice Halbwachs
Cédric Lomba, Directeur de recherche CNRS, CRESSPA-CSU-Université Paris 8 (rapporteur)
Delphine Mercier, Directrice de recherche CNRS, Maison française d'Oxford/LEST-Aix Marseille (rapportrice)
Serge Paugam, Directeur d'études EHESS - Directeur de Recherche CNRS - Centre Maurice Halbwachs (directeur de thèse)

Defence

27/03/2024

14h00
Publiée le 2022-02-11 par Webmaster (dernière modification le 2024-03-28)