Centre Maurice Halbwachs

Andreas Falkenberg

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Sujet de thèse : Je m’intéresse à la génération de jeunes norvégiens qui sont nés à la fin des années 80 et au début des années 90. Ces jeunes se distinguent de deux façons par rapport aux générations précédentes : ils ne présentent aucune volonté subversive contre le pouvoir qui prévaut dans la société norvégienne et ils sont étonnamment déprimés (dans le sens clinique du terme), en dépit du fait qu’ils ont grandi dans la société la plus prospère au monde. Avec mon travail, je cherche à comprendre ces deux phénomènes sociaux et peut-être voir ce qu’ils révèlent de façon plus générale au sujet de l’évolution de la démocratie norvégienne.
Directeur de thèse : Serge Paugam

PRÉSENTATION - AXES DE RECHERCHE
La Norvège a ces dix dernières années été considérée comme le pays le plus « prospère » au monde (d’après le Legatum Prosperity Index) et aussi l’un des pays où la population est la plus « heureuse » (d’après le World Happiness Report). La Norvège est, sous cette perspective, un cas extrême, un laboratoire social particulier. J’ai moi-même choisi d’appeler la Norvège une démocratie d’avant-garde, car il est possible de faire valoir qu’une certaine « logique égalitaire » (Tocqueville) a été poussée plus loin dans ce contexte social que peut-être nulle part ailleurs. De nombreux chercheurs en sciences sociales ont tenté d’expliquer le succès de cette démocratie. Personnellement, je me suis penché sur une vaste recherche empirique faite au sein de la génération de jeunes Norvégiens nés à la fin des années 80 et au début des années 90. Ces enquêtes nationales, remontant au tournant du millénaire, ont abouti à deux conclusions fondamentales que je trouve particulièrement intéressantes. Tout d’abord, les enquêtes révèlent, dans cette génération, pour la toute première fois (le phénomène est en ce sens historique), une absence totale de volonté subversive contre le pouvoir étatique et parentale régnant dans ce pays. J’ai pour l’instant choisi d’appeler ce phénomène social une « pacification » de la jeunesse norvégienne. La deuxième conclusion frappante qui sort du matériau empirique est que ces jeunes, qui ont donc grandi dans le pays le plus prospère au monde, sont étonnamment déprimés.
Comment devons-nous comprendre cette pacification ? Est-ce une forme de satisfaction avec le statu quo ? Le remarquable degré de dépression semble immédiatement saper une telle hypothèse à première vue évidente. En outre, comment ces jeunes, qui en grand nombre se considèrent comme heureux lorsqu’on leur pose directement la question, peuvent-ils, malgré tout, quand on regarde les données cliniques, se révéler être remarquablement déprimés ? Avec mon doctorat, je cherche à donner du sens à ces conclusions paradoxales auxquelles aboutit le matériel empirique.
Je veux sinon insérer mon projet dans une tradition de recherche psychosociale. La pacification et la dépression doivent, je pense, être comprises comme des conséquences paradoxales et involontaires de processus sociaux autrement « bien-intentionnés ». Il n’y a pas de volonté souveraine hobbesienne qui veut la pacification de la jeunesse norvégienne, bien que la pacification doit être considérée comme très bénéfique pour le pouvoir régnant dans cette société.
Pour saisir ces conséquences involontaires (ce que Weber a appelé « Paradoxie der Folgen ») nous devons prendre en compte les dimensions irrationnelles, c’est-à-dire affectives, des individus. C’est à mon sens exactement ce que fait Weber dans L’Éthique protestante quand il met l’accent sur l’anxiété religieuse, un état affectif. La doctrine de la prédestination (idée) conduit bien logiquement au fatalisme, mais psychologiquement elle a abouti à quelque chose de complètement différent et inattendu, à savoir un ascétisme mondain (action). C’est cette médiation psychologique entre idée et action (idée -> psychologie -> action) qui fait que l’action qui suit peut être involontaire et imprévisible. Dans l’explication de Weber, c’est l’anxiété religieuse qui a altéré l’histoire. Pareillement que le Weber de L’Éthique protestante, je pense que c’est ces états psychologiques qui sont la « clé » pour expliquer les résultats empiriques paradoxaux révélés dans la Norvège contemporaine.
Idéalement je souhaite, comme mon Directeur de thèse, Serge Paugam, unir dans mon modèle explicatif un niveau psychologique, sociologique et historique. Je suis dans ce contexte particulièrement intéressé par le sociologue Norbert Elias et son concept central de « Fremdzwang », qui justement garde ces trois structures dans un seul et même concept.
Ma conviction est qu’une telle approche psychosociale est nécessaire pour comprendre comment la société la plus prospère du monde peut être, pour le dire de manière un peu simpliste, aussi oppressive. C’est-à-dire que c’est une telle approche qui nous permet de voir comment un ordre social qui n’est pas sociologiquement ouvertement oppressif peut avoir néanmoins des conséquences psychiques perverses, ce qui permet de démontrer – via un tel « détour » psychologique – la nature tout de même oppressive de cet ordre social.
Mon doctorat peut alors aussi servir comme une critique de certaines autres approches sociologiques, qui sont, je le pense, incapables de résoudre ces uniques paradoxes qui ont surgi dans la démocratie d’avant-garde norvégienne (un contexte social qui en ce sens peut être compris comme un « test » singulier pour les théories sociologiques).

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